Le Nevado Del Ruiz
Nous revoilà donc, comme on l’a dit, en Colombie, et de nouveau les photos s’accumulent. Du coup, décision radicale. Alors que notre voyage Bogota – Ibagué – Manizales – Perreira – Cali – Armenia (et retour), c-a-d la région cafetera s’amorce, je scratche carrément un bout de route, la chaleur des plaines, Honda, Armero et ses ruines (et ses vendeurs de vidéos du drame…) après le terremoto de 1985, Ibague et son beau parc d’orchidées.
Mais d’abord, pour pas se perdre en route, un déjeuner sur le pouce.
Voila pouf pouf, nous voici en direction de Manizales, dont un fond d’écran de mon ordinateur a longtemps nourri mon imagination.
La route de Colombie, pour ceux qui nous ont suivis, c’est toujours un peu l’aventure. Cette fois, on part de 216 mètres et on grimpe en deux ou trois heures à 3700 mètres. Les plantes s’acharnent à occuper le moindre espace non cultivé, et on cultive du café, du coton, du lulo, des bananes, du riz, des patates. Au bord des routes, des arbres abusent de leur statut et se couvrent carrément de fleurs, violettes, bleues, roses, rouges, bref un feu d’artifice que c’en est tellement abusé de beauté que je n’en ai pas pris en photo.
La route s’échappe au bord de collines très style Vietnam-dans-les-films.
Comme il a plu beaucoup, des gros pans sont tombés dans le ravin, on sert les fesses, l’altitude ne pousse personne à conduire plus prudemment. Petit à petit, de lointaines masses apparaissent.
Les plantes s’accrochent mieux que les hommes.
Et soudain, les hauts-plateau.
Manizales est une belle ville. On m’en a dit du mal, mais c’est très bien. Un long téléphérique permet de la traverser, pratique vu qu’elle monte rudement. Le but est de se rendre au Nevados del Ruiz, un des trois volcans dont les glaciers culminent au-dessus de la ville. Tout ca fond vite, autant y aller rapido, et pour tout dire, cette montée au parc, à laquelle je tenais depuis lurette, c’est même devenu mon cadeau d’anniversaire.
The D-Day, Le N-N-N-Nevado.
Ce matin, 6h30, une 4x4 vient nous chercher. Je dois dire, une petite angoisse me tient l’estomac (déjà que la nuit d’avant la Lechona fut dure a digérer, mais c’est une autre histoire). Comme c’est la Colombie, on sait jamais trop précisément comment ca va se passer. On parle qu’on va se garer bien bien bien haut, qu’ensuite on marche, et que la moitie des gens s’évanouissent, mal des montagnes, difficulté à respirer, etc. Bon moi en fin de compte, je flippe, je me dis l’altitude va m’étreindre les poumons, je vais y penser ca va empirer comment je vais faire rien que d’y penser je respire mal... Bon, au matin, je suis pas d’une forme olympique. On fait deux heures de route avec un jeune sympa quoi que pas loquace, dans une Jeep sympa quoi que qui pue l’essence, je n’ai pas faim.
La végétation rapetisse, les montagnes grandissent, première halte au bord d’un beau lac (qui s’assèche doucement).
Je peine à manger, je me sens pas en forme, c’est l’altitude. Je lutte, je dissimule mon stress avec mon masque de flegme numéro 23, ca marche. En plus j’ai froid, je tremble, je n’ai pas de gants, et j’ai fait l’erreur de croire mon écharpe inutile. Puis je sors du resto (dans un garage, toit précaire, très rural alpin). Et je réalise qu’en fait on est à 3700 mètres seulement et qu’il fait 11 degrés. Tout est dans le contraste, et le vent qui tout de même est terrible. Quelle puissance que l’imagination ! Mais loin de faire le fier, de me dire tout va bien, je réalise qu’on va encore vachement monter, je me resens fébrile.
C’est le moment que choisit la bête pour clairement apparaitre.
On se pèle, les gens boivent du the de coca, j’achète des cartes postales d’une autre région par erreur, je vous dis je suis pas en forme.
On reprend la route. Au bord, plus d’arbres mais des frailejon, ces fameuses plantes d’altitude qui ne poussent que d’un ou deux cm chaque année.
Les montagnes se pèlent, moi aussi. On arrive en l’entrée du parc : 3950 mètres. Speech de sécurité, cardiaques et femmes enceintes s’abstenir, je flippe. On part en groupe, guide obligatoire, c’est la haute altitude. Je flippe à force d’entendre les manifestations du mal des montagnes, a chaque symptôme évoqué, je le sens bienvenu, j’hésite même à attendre les autres ici, peur de retarder le groupe, de pas réussir, bon, on y va. Sur une piste, en 4x4 tjrs (j’aurais préféré a pied, mais c’est une zone volcanique, c’est un peu compliqué de faire autrement), on va monter jusqu'à 4800, par étape pour que ne surgisse pas nausée, mal au crane, vomissement, œdème pulmonaire, ours gris, condor des Alpes, tigre du Bengale, que sais-je encore j’aimerais bien vous y voir ?
Première étape : 4100
C’est un trou de froidure, ou chante une riviere… Je tremble tout a fait j’ai froid, le guide nous demande si tout va bien, je vais toujours mieux de pas y penser, je floute les photos de trembler, maman m’a toujours dit t’es trop influençable, bigre elle avait raison. Sur la photo qui suit ca n’a l’air de rien. Une fois dedans c’est autre chose. Les autres touristes sont insultants de pleine forme.
Seconde étape : 4200
Le désert commence. Ce qu’on voit ci-dessous, au fond, c’est de la cendre et non de la neige. Les plantes disparaissent, on croise un peu d’arnica par ci par la, les frailejon ont disparu, quelques touffes s’acharnent. Le soleil frappe, je me réchauffe, le paysage est incroyable, les photos ne rendent pas le tiers. Prochaine étape annoncée : Las Tombas. A ma question, le guide répond que ca s’appelle comme ca parce que c’est souvent la que les touristes tombent. Moi qui reprenais confiance.
Troisième étape : 4300 : Las Tombas
Ici tout devient si époustouflant que j’oublie a peu prés toutes ces conneries de corps. Il n’y a plus du tout de plantes. Il faut y être pour le croire, il faut y être tout court. On deviendrait panthéiste et 3 secondes, déjà que j’ai ma tendance… ca me rappelle ce séjour d’alpinisme, ado, avec , mon père dans les Ecrins, ou, après 3 jours passés dans les pierres et la glace, tout paraissait une fois redescendus de la moindre importance, l’homme devant le géant minéral redécouvre sa véritable taille, c’est grisant et ca fait un bien d’enfer.
Comme je reprends des forces, j’harangue la foule.
A droite, le cratère de Ottela (mais ottela vite !), et à gauche le gros Ruiz.
On reprend la voiture, cette fois 300 mètres d’un coup, presque jusqu’ au bout, par une suite de pistes dans un sable cendreux à moins qu’il ne s’agisse de cendres sableuses. Autour, des pierres de lave, des pierres de souffre, des roches légères, poreuses et grises, ou noir et carboniques.
Phénomène rare : le Paez sur le Ruiz.
Les filles folâtrent, c’est l’euphorie collective, on décroche les mâchoires, on béate, on écarquille, puis on carquille car le soleil brille, on fait la liste des synonymes de superbe.
Dernière étape : 4800
Sur un petit plat, je ne résiste pas a me photographier avec ces paysages fantastiques.
Au final, je marche, presque cours partout ou je peux autour de ce dernier refuge avant le sommet. Normalement, on marche jusqu'à 5100 mètres, mais le volcan a eu la bonne idée de se remettre en activité après un bon roupillon qui avait suivi sa fureur de 1985, du coup, impossible d’aller plus loin. J’enrage tant tout est beau et puissant autour, mais il existe plusieurs treks de l’autre côté du parc, plus sauvage. On croise un américain et un espagnol qui alpinent. Nous on a rien marche quasi, je sais, je vous vois venir (surtout de là-haut c’est plus facile), seulement quelques pas, lents, la conscience des pieds qui se lèvent, qui poussent l’air évanescent, qui se posent sans bruit, sans heurt. La respiration, en fait, ne s’étouffe pas tant qu’elle enivre, qu’elle emplit le crane, le corps. Tout est en douceur, les mots s’enchainent mal, on voit, on sent beaucoup, on oublie un peu de penser a autre chose qu’à l’indispensable. J’ai fait trois fois le tour de l’aire autorisée, je trottine vite fait pour sentir les réactions, c’est passionnant, c’est délicieusement dévastant, au soir je m’y vois encore quand je ferme les yeux. C’était pourtant peu. On reviendra.
Camyruiz, août 2011.